dimanche 10 juillet 2016

C'est peau trop tôt !

On y est ! L'été a enfin pointé le bout de son nez, et le soleil aussi... enfin on espère. L'occasion pour moi de vous parler d'une organe dont vous n'avez peut-être même pas idée du rôle considérable qu'il joue : la peau !

Notre enveloppe charnelle, composée de quelques 2000 milliards de cellules, est l'organe le plus lourd du corps humain : environ 5 Kg pour un homme adulte. Si on étalait la totalité de sa surface au sol, notre peau recouvrirait une surface moyenne de 2 m2. Le premier rôle de notre peau est bien sûr de constituer un bouclier de défense contre le milieu extérieur mais aussi de retenir à l'intérieur de notre organisme l'eau et les électrolytes qu'il contient. Mais ce n'est pas tout ! Au delà d'autres fonctions physiologiques que j'aurai à cœur de décrire plus tard, la peau possède une forte fonction identitaire. C'est l'organe que l'on voit dans le miroir, celui que l'on montre aux autres et celui qui définit notre identité sociale et ethnique aux yeux des autres. Un organe aux multiples facettes, d'une complexité surprenante et soumis quotidiennement à de multiples agressions.

De quoi est constituée notre peau et quelles sont ses fonctions ? C'est ce que je vais humblement essayer de vous expliquer dans une suite d'articles rédigés par mes soins. On commence aujourd'hui par une petite mais efficace présentation des principales cellules qui constituent notre peau.


LES CELLULES DE LA PEAU.


I. Les kératinocytes : véritables briques d'un mur imperméable.


Les kératinocytes sont les cellules les plus abondantes de l'épiderme, ils représentent en effet 80% de la totalité des cellules le composant. Ils doivent leur nom à leur cytosquelette (le squelette cellulaire) composé de tonofilaments, filaments intermédiaires de 10 nm de diamètre constitués de kératines.
Naissant par mitose au niveau de la couche la plus profonde de l'épiderme (la couche basale), ils migrent ensuite vers la surface et se différencient. Cette différenciation les conduit à perdre leur noyau et tous leurs organites par apoptose à mesure qu'ils approchent de la surface, aboutissant ainsi à un véritable mur de briques constitué de cadavres cellulaires totalement kératinisés : les cornéocytes.
Ils assurent trois grandes fonctions primordiales : la cohésion de l'épiderme par l'existence de jonctions d'ancrage qui relient le cytosquelette de deux cellules adjacentes ou bien le cytosquelette d'une cellule avec la matrice extra-cellulaire ; la formation d'une barrière entre le monde extérieur et le monde intérieur par l'existence de jonctions étanches au niveau apical des cellules et enfin la protection contre les radiations lumineuses grâce aux mélanosomes contenant les pigments de mélanines.

Ils sont également responsables de la synthèse de lipides polaires, de protéines et d'enzymes, concentrés dans les kératinosomes et secrétés ensuite par exocytose. Ils forment ainsi un véritable ciment intercellulaire.

II. Les mélanocytes : quand notre peau gagne des couleurs.


Les mélanocytes sont quantitativement la seconde population de cellules la plus répandue dans l'épiderme. Ces cellules arrondies, claires à noyau rond et dense voient leurs corps cellulaires situés exclusivement au niveau de la couche basale de l'épiderme. Elles entretiennent cependant des contacts étroits avec les kératinocytes via des extensions cytoplasmiques appelées dendrites (sortes de tentacules) qui, elles, s'étirent jusqu'aux couches supra-basales. Un mélanocyte peut ainsi être en contact avec quarante kératinocytes. Les nombreux contacts existants entre ces deux populations de cellules sont appelés synapses pigmentaires par analogie à la synapse neuronale.
Les mélanocytes sont les usines de la peau dédiées à la fabrication d'un pigment : la mélanine. Celle-ci est synthétisée via des cascades enzymatiques à partir de la tyrosine (un acide aminée). Il existe deux types de mélanine : l'eumélanine (noire, brune) la plus répandue et photoprotectrice, et la phéomélanine (rouge et jaune) présente notamment chez les personnes rousses. L'ensemble de ces pigments est synthétisé et concentré au sein d'une multitude d'organites intra-cellulaires appelés mélanosomes.
Ces mélanosomes, et la cargaison qu'ils transportent, vont tout d'abord migrer vers les extrémités des dendrites puis être ensuite transférés aux kératinocytes via des mécanismes encore mal élucidés : exocytose, phagocytose ?

Le rôle des mélanocytes et des pigments qu'ils synthétisent est bien sûr la protection contre les rayonnements visible et ultra-violet. La mélanine est en effet capable d'absorber le rayonnement lumineux dans cette gamme de longueurs d'onde. Le phototype cutané, ou couleur de peau, ne dépend pas du nombre de mélanocytes (sensiblement le même chez tous les adultes) mais bien de la nature et de la quantité de pigments synthétisés.

Mélanocytes humains observés au microscope électronique à transmission. A droite, détail sur les mélanosomes.
(crédit photo : http://biologiedelapeau.fr)

III. Les cellules immunitaires : la police des frontières.


L'épiderme assure une fonction de défense face aux micro-organismes potentiellement pathogènes de l'environnement, c'est la raison pour laquelle il contient un contingent de cellules immunitaires dont la plus étudiée est la fameuse cellule de Langerhans.

Initialement découvertes par Paul Langerhans en 1868, on leur attribua d'abord un rôle de neurones intra-épidermiques. Elles représentent 3 à 8% des cellules de l'épiderme. Ce sont des cellules étoilées, présentant de nombreuses extensions cytoplasmiques, d'où leur appellation de cellules dendritiques et forment au sein de la peau un réseau dense. En microscopie électronique, elles sont reconnaissables par l'existence d'organites en forme de raquette de tennis appelés granules de Birbeck.

Cellule de Langherans observée en ME à transmission.
(crédit photo : http://biologiedelapeau.fr)
On sait aujourd'hui qu'elles dérivent d'une cellule souche hématopoïétique au cœur de la moelle osseuse et qu'elles migrent ensuite vers le tissu cutané. Les cellules de Langerhans sont des cellules présentatrices de l'antigène (CPA) professionnelles. Elles sont capables de reconnaître des antigènes issus de pathogènes (bactéries, virus, champignons) via des récepteurs membranaires (TLR, lectines, récepteurs au fragment Fc des immunoglobulines, récepteur du complément) et de les internaliser ensuite par différents mécanismes : endocytose, macropinocytose et phagocytose. Une fois internalisés, les antigènes sont dégradés par des protéases en peptides d'une vingtaine d'acides aminés qui seront ensuite liés à un complexe moléculaire appelé : CMH de classe II (Complexe Majeur d'Histocompatibilité). L'ensemble du complexe moléculaire CMH II / antigène est ensuite exprimé à la surface de la cellule.

Détail d'un granule de Birbeck obrservé dans une cellule de Langherans en ME à transmission.
(crédit photo : http://biologiedelapeau.fr)
Une fois activée, la cellule de Langerhans va migrer vers les zones T des organes lymphoïdes secondaires sous l'influence de chémiokines et présenter l'antigène apprêté à des lymphocytes T naïfs pour activation de la réponse immunitaire (synthèse d'Il-12, induction d'une réponse de type Th1).

La cellule de Langerhans constitue donc l'un des premiers remparts en terme d'immunité face aux agressions microbiologiques. Elle n'est évidemment pas la seule, on retrouve également au sein du derme, d'autres cellules de l'immunité comme des cellules dendritiques (ne contenant pas de granules de Birbeck) et des lymphocytes.

IV. Les cellules de Merkel : la sensibilité à fleur de peau.


Situées au niveau de la lame basale de l'épiderme, les cellules de Merkel apparaissent en microscopie électronique comme étant plus claires et plus petites que les kératinocytes. Leur noyau est plurilobé, volumineux et pauvre en nucléoles. Elles possèdent, elles-aussi, de nombreux prolongements cytoplasmiques de plusieurs micromètres de long mais ce qui les caractérisent est la présence dans leur cytoplasme de nombreux granules sécrétoires localisés face aux terminaisons de neurones situés dans le derme (pôle basal). Leur origine est encore controversée, elle pourrait être épidermique et/ou neuronale.
Les cellules de Merkel représentent 0,5 à 5% des cellules de l'épiderme mais leur proportion varie en fonction de l'âge et de la région du corps ; les zones les plus peuplées étant les zones tactiles de grande sensibilité : lèvres, muqueuse orale, zones érogènes, où elles sont regroupées en paquets (clusters) d'une cinquantaine de cellules autour des terminaisons nerveuses.

Cellule de Merkel observée en ME à transmission.
(crédit photo : http://biologiedelapeau.fr)

Les cellules de Merkel sont des mécanorécepteurs responsables de la sensation tactile fine. Elles jouent un rôle clé dans le système neuro-endocrino-immuno-cutané et entrent en contact via leurs prolongements cytoplasmiques avec les kératinocytes, les cellules de Langerhans et peuvent établir des synapses avec les cellules nerveuses sensorielles. Elles sont capables de détecter par leurs microvillosités les déformations localisées de l'épiderme et libèrent les neuromédiateurs, qu'elles synthétisent en grand nombre et concentrent dans les granules sécrétoires, vers les fibres nerveuses proches.


V. Les cellules du tissu conjonctif : les fibroblastes, travailleurs du BTP et les adipocytes, le garde-manger de l'organisme.


Les fibroblastes sont les principales cellules du tissu conjonctif. Fusiformes ou étoilées, elles possèdent de longs prolongements cytoplasmiques. L'abondance des organites impliqués dans la synthèse des protéines (ribosomes, réticulum endoplasmique granulaire, appareil de Golgi) témoigne de leur rôle dans la synthèse et la sécrétion des protéines et polysaccharides composant la matrice extra-cellulaire du tissu conjonctif (fibres de collagène et d'élastine) donnant toute sa souplesse et son élasticité à la peau.

Les adipocytes sont des cellules sphériques, volumineuses facilement reconnaissables car elles possèdent une importante vacuole lipidique occupant la presque totalité du volume cytoplasmique. Le noyau est aplati et refoulé en périphérie contre la membrane plasmique. Les adipocytes concentrent les graisses au sein de leurs vacuoles sous forme de triglycérides et représentent ainsi l'une des plus importantes réserves énergétiques de l'organisme.

Conclusion


D'un point de vue cellulaire, on peut dors et déjà constater que la peau est un tissu très riche et complexe constitué de cellules différenciées et hautement spécialisées. Dans le prochain article sur le sujet, il me restera à vous montrer comment toutes ces cellules s'organisent pour former un tissu à la fois cohérent et fonctionnel.
Étant limité quelque peu par la forme de l'article qui se veut accessible et relativement succinct, il m'est impossible de détailler toutes les parties développées précédemment (mais d'autres sites le font merveilleusement bien). Cependant, si vous avez des questions sur ce sujet, je me ferai évidemment un plaisir d'y répondre.

Sources :

Ouvrages :
  • POIRIER Jacques, CATALA Martin, ANDRE Jean-Michel, GHERARDI Romain, BERNAUDIN Jean-François. Histologie, Les tissus. Paris : MASSON, 2006, 224p.
  • BACH Jean-François, CHATENOUD Lucienne. Immunologie, De la biologie à la clinique. Paris : Médecine-Sciences Flammarion, 2002, 369p.
Articles :
  • PROST-SQUARCIONI Catherine. Histologie de la peau et des follicules pileux. Médecine/Sciences, 2006, vol 22, p131-137.
  • VALLADEAU Jenny. Les cellules de Langherans. Médecine/Sciences, 2006, vol 22, p144-148.
  • DELEVOYE Cédric, GIORDANO Francesca, VAN NIEL Guillaume, RAPOSO Graça. La biogénèse des mélanosomes. Médecine/Sciences, 2006, vol 22, p153-162.
  • TESTARD-VAILLANT Philippe. Grand Angle : La peau, une histoire d'âge. Science&santé, 2016, n°31, p20-33.
Sites :